]]>

dimanche 29 mars 2009

L'intrusion de Gaïa (3)

Giovannino de' Grassi. Leonpardo in un giardino. Vers 1390.


Ce que nous avons été sommés d'oublier n'est pas la capacité de faire attention, mais l'art de faire attention. Si art il y a, et non pas seulement capacité, c'est qu'il s'agit d'apprendre et de cultiver l'attention, c'est-à-dire, littéralement, de faire attention. Faire au sens où l'attention, ici, ne se rapporte pas à ce qui est a prioridéfini comme digne d'attention, mais oblige à imaginer, à consulter, à envisager des conséquences mettant en jeu des connexions entre ce que nous avons l'habitude de considérer comme séparé. Bref, faire attention au sens où l'attention requiert de savoir résister à la tentation de juger.

Si la question qui aujourd'hui importe est celle d'une réappropriation collective de la capacité de faire attention, l'Etat, tel que je viens de le caractériser, n'aidera pas : le surgissement de groupes qui se mêlent de ce qui les regardent, qui proposent, objectent, exigent de devenir parties prenantes dans la formulation des questions, et apprennent comment le devenir, est toujours d'abord pour lui un "trouble à l'ordre public", qu'il s'agit de tenter d'ignorer, et si cela n'est pas possible, dont il s'agira ensuite de produire l'amnésie.

… la distribution entre ce que l'Etat laisse faire au capitalisme et ce que le capitalisme fait faire à l'Etat a changé. L'Etat laisse le capitalisme mettre la main sur ce qui fut défini comme relevant du domaine public, et le capitalisme fait endosser à l'Etat la tâche sacrée d'avoir à pourchasser ceux qui enfreignent le désormais sacro-saint droit de propriété intellectuelle. Un droit qui s'étend à à peu près tout, du vivant aux savoirs autrefois définis comme accessibles à tous leurs usagers. Un droit auquel, au nom de la défense de l'innovation, l'OMC entend soumettre la planète entière.

Il ne s'agit pas ici de se plaindre, mais de constater que le processus de destruction des ressources qui pourraient nourrir un art de faire attention s
e poursuit de plus belle sous couvert de modernisation, un processus dont l'impératif catégorique est la mobilisation de tous, avec mise au pas de ceux qui bénéficiaient encore de "niches" relativement protégées. Le capitalisme n'en demandait peut-être pas tant, et c'est ici que se pointe cet autre protagoniste qu'est l'Etat.

Je ne dirai certes pas que nous n'avons pas besoin d'Etat. Je dirai que, face à l'intrusion de Gaïa,
il ne faut pas se fier à l'Etat.


Extraits de Isabelle Stengers : Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, éd. Les empêcheurs de penser en rond / La Découverte, 2009.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Remove all liquid products that might freeze and burst.
The equipment used to fabricate the parts will typically
manage within .005" (0.12mm).

Also visit my page ... pokoje zakopane