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jeudi 26 février 2009

Cérémonie





La pauvrette se déshabille, se déchausse, se décoiffe et puis - ô le danger ! elle tira sa chemise et, toute nue comme une fée sortant de l'eau, va semer ses cerises de côté et d'autre, de long et de large, sur les beaux linceuls au commandement de monsieur. Ses beaux cheveux épars, mignons lacets d'amour, allaient vétillant sur ce beau chef-d'oeuvre de nature, poli, plein et en bon point, montrant en diversité de gestes un million d'admirables mignardises. Ses deux têtons, jolies ballottes de plaisir jointes à l'ivoire du sein, firent des apparences montueuses, différentes en trop de sortes selon quelles parurent en distincts aspects. Les yeux paillards, qui se glissaient vers les bonnes cuisses pleines et relevées de tout ce que la beauté communique à tels remparts et commodités du cachet d'amour, ravissaient de regards goulus toutes les plus parfaites idées qu'ils en pouvaient remarquer. Et, combien qu'il y eût tant de beautés mignonnement étalées en doux spectacle, il n'y avait pourtant qu'un petit endroit qui fût curiseusement recherché avec la vue, tant les regards tiraient au but où chacun eût voulu donner, tous n'ayant intention qu'au précieux coin où se tient le registre des mystères amoureux.

Après que les cerises furent semées, il les fallut recueillir et ce fut lors qu'apparurent de merveilleuses dispositions, essayant de cacher surtout le précieux labyrinthe de concupiscence. Le pauvre petit centre de délices eut bien de la peine à chercher des gestes pour se faire disparaître. Ce beau parfait, cette belle étoffe à faire la pauvreté, ce corps tant accompli fut vu en tant de plans si délicieux que, difficilement, y eut-il jamais yeux plus satisfaits que ceux des assistants (...)
Les cerises remises au panier, la belle revint vers les fenêtres reprendre sa chemise - encore, les yeux des voyants s'allaient allongeant par les replis, afin d'avoir encore quelque reste d'objet. Et ainsi, peu à peu qu'elle levait une jambe puis l'autre, ils épiaient, tant qu'elle se fut remise en l'état de sa venue, toute coiffée et habillée. Ses beaux yeux, petits cupidonneaux, étaient tout relents des vagues de feu qu'ils avaient octroyées à la honte de présenter, en liqueur pour excuse de cette aventure.

Extrait de Béroalde de Verville
(1556 - 1626), Le Moyen de parvenir, Cérémonie.

lundi 23 février 2009

Pour les Muses




Asteria



Commençons par de la poésie, et retournons vers les sources, et aux sources des Muses cherchons Apollon, et pour trouver l'origine de ce dieu, tournons-nous vers sa mère, Létô, mais surtout vers l'île-déesse qui accueillit Létô en quête d'un lieu où mettre au monde ses enfants jumeaux, Apollon et Artémis.

Cette île-déesse est une l'île naviguante :

Une île s'aperçoit sur les flots, terre étroite, errant sur les mers ; point de racines qui la fixent ; comme la tige d'asphodèle, elle vogue au gré du courant, sous le Notos ou l'Euros, où la poussent les ondes.

Mille récits sont à l'entour de ton nom ; auquel vais-je le lier aujourdh'ui ? et que te plaît-il d'entendre ?

Libre, tu voguais sur les flots. Ton nom était alors Astéria ; tel un astre en effet, tu tombas du haut du ciel dans le gouffre profond, pour fuir l'hymen de Zeus. Tu n'avais pas encore reçu la brillante Létô ; tu étais encore Astéria, tu n'étais point Délos.

Car l'île-déesse est mieux connue sous ce nouveau nom de Délos, "la Visible", l'enfantement de Létô provoquant l'enracinement de l'île aux fonds marins :

Terre venteuse, terre sans labours, faite plutôt, roche battue des flots, pour le vol des mouettes que pour l'ébat des chevaux, Délos est plantée dans la mer qui, roulant ses flots pressés, essuie à son rivage toute l'écume des eaux Icariennes ; ceux qui l'habitent ne sont que gens de mer, pêcheurs au harpon.

Mais voici qu'arrive Létô dans les douleurs de l'enfantement qui s'annonce :

Elle délie sa ceinture, s'appuie à la renverse contre le tronc d'un palmier,
torturée de cruelle détresse, sa chair ruisselante d'eau.
Et elle dit, douloureuse : « Pourquoi ta mère, ô mon fils, la fais-tu tant souffrir ?
Elle est là, mon aimé, l'île qui flotte sur la mer.
Viens, viens et sors doucement de mes entrailles ! »

D'or, à cette heure, fut toute ta terre, ô Délos,
d'or, tout au long du jour, coula le flot de ton lac arrondi,
d'or fut la frondaison de l'olivier qui vit naître le dieu,
d'or les hautes eaux du profond Inôpos, en son cours sinueux.
Et toi, de dessus le sol d'or, tu soulevas l'enfant,
et le pris dans ton sein, et tu clamas :
« O Très Grande, [Gaïa], déesse aux mille autels, aux milles cités et portant toute chose,
et vous, terres fécondes, continents, îles qui m'entourez,
me voici, moi Délos la terre arride.
Mais Apollon Délien sera nommé de mon nom ;
nulle terre ne sera chérie d'un dieu —
ni Kerchnis de Poséidon qui règne sur Léchaion,
ni d'Hermès la colline de Cyllène, ni de Zeus la Crète —,
autant que je serai chérie, moi, d'Apollon, et je ne serai plus l'île errante. »
Tu parlas, et ses lèvres pressèrent la douce mamelle.

Astéria, parfumée d'encens, autour de toi les îles
forment cercle autour de toi forment un chœur de danse

Astéria mille-autels et mille-prières, quel marin,
quel marchand de l'Egée, passa jamais au large de tes bords
en son vaisseau rapide ? Non, jamais les vents ne le poussent si fort,
jamais le besoin ne presse tant sa course
qu'il ne se hâte de plier sa voilure.



Les passages cités sont extraits (dans un joyeux désordre) de l'Hymne à Délos, de Callimaque, auteur de langue grecque du IIIe siècle avant notre ère, bibliothécaire au Musée d'Alexandrie. La traduction (en prose) est celle d'Emile Cahen, parue aux Belles Lettres, avec plusieurs passages remis par moi-même dans leur disposition versifiée ; j'ai également revu certaines parties de la traduction.


dimanche 22 février 2009

Ammien Marcellin au Lab/oratoire du Mercure fugace





Le Lab/oratoire n'en était pas à sa dernière expérimentation et n'a pas succombé à une quelconque explosion ; le chymiste s'est réfugié dans le silence bruissant de ses oiseaux rêvés, confiant à un autre le soin de faire vivre ce lieu.


L'auteur de ces lignes, en effet, n'est pas Triplex Nomine.

Disons que je m'appelle Ammien Marcellin. Je suis un ami de Triplex, lequel a décidé d'ouvrir cet espace à d'autres lab/orantins, mais j'en serai dans un premier temps le contributeur essentiel.

Que les choses soient claires : je suis un lecteur, pas un poète, et ma plume ne fera pas couler des vers à l'image du maître de ces lieux. Triplex Nomine pense revenir et publier ses prochains textes ici même, mais ne se croyant pas prêt à être régulier et ne voulant pas rendre ce site moribond, il m'a demandé de l'alimenter de tout ce qui pourrait contribuer à l'œuvre alchimique de V.I.T.R.I.O.L. J'assume donc la responsabilité des idées et des textes qui viendront, quitte à être parfois en désaccord avec Triplex — forcément d'ailleurs. Mais je pense globalement qu'il en ressortira un esprit cohérent avec l'histoire de ce Lab/oratoire morcelé.

Les lecteurs trouveront de nombreux extraits de livres qui me paraissent essentiels pour notre époque tourmentée (et je pourrais dire, qui "nous paraissent", car il s'agira assez souvent de choses discutées avec Triplex, dont je partage étroitement les vues en matière de goût - culturel, littéraire, politique et écologique, ces quatre champs étant la matière de prédilection du nouveau Mercure fugace).

Aussi, la matière de ce lieu sera toujours propre à faire rêver, à éblouir ou à faire réfléchir, en attendant les précieuses poésies de Triplex Nomine et les articles probables d'une autre personne, très chère à son cœur...

Et pour rêver les yeux ouverts, ouvrez cette porte.