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samedi 10 octobre 2009

samedi 19 septembre 2009

L'indéfendu


offrande au corps de ma bien aimée


qui sous mes mains se retourne et m'offre pommes et rubis

ou l'indéfendu fruit fendu

tour à tour

sous mes paumes qui font


offrande au corps de ma bien aimée

mercredi 16 septembre 2009

Le pli souverain


offrande au corps de ma bien aimée


et sa fleur librement m'emprisonne

et doucement endurcit mon joyau qui se perle

et moi non plus en moi mais tant et plus en son pli souverain je fais


offrande au corps de ma bien aimée

lundi 14 septembre 2009

Pluie


Offrande au corps de ma bien aimée


sous ma pluie souveraine

parmi les herbes mouillées

dans mes bois aux chevaux suffocants qui marchent sabots nus

au sommet de ma tour au soleil qui rougeoie je fais


offrande au corps de ma bien aimée


dimanche 30 août 2009

La légende dorée de Jean-Louis Murat


Eros au miel - Albrecht Dürer



Une fois n'est pas coutume, je vais faire comme les ados et proposer à mes visiteurs une chanson que j'écoute en boucle :



"La légende dorée", première chanson de Tristan, album de Jean-Louis Murat paru en début d'année.






vendredi 21 août 2009

Ouvrir le fleuve de douceur


extrait du Speculum humanae salvationis, Bologne, XIVe siècle.







Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Oi de ton ami la clamour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi comment je pour toi demour.
(demeure)

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Fai tant que o toi soit mon demour.
(ma demeure)

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Oi du grant Desir la rumour
Qui fait en mon cuer son demour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Fai qu'avec toi faice sejour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Fai que j'aie encor un bon jour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Oi de loing comment pour toi plour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi comment pour toi je m'esplour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Tari le ruissel de mon plour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Estain de Desir la chalour,
Amenuise sa grant rigour
Qui estaint toue ma vigour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Aies pité de mon labour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Met en ton tresdoulz cuer tenrour.
(tendresse)

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi ma pene, voi mon labour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi comment pour t'amour labour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi ma tresamere tristour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi mes meschiés
(malheurs), voi ma dolour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Considere ma grant freour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour
Voi que de mort sui en paour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Regarde comment je m'atour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi comment je pleur en destour
(en cachette)
Pour ton cointe corps fait a tour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour
Voi qu'en toi sunt toudis mi tour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour
Voi comment pour toi descoulour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour
Euvre (ouvre) le flun (le fleuve) de ta douçour
S'arouse
(rosit) ma pale coulour.


Guillaume de Machaut (1300- 1377), lettre XXIII, vv4648-4698, in Le Livre du Voir Dit (1364)



Extrait de la Fontaine Amoureuse de Guillaume de Machaut. Enluminure de Perrin Remiet.

mardi 18 août 2009

Hortus noctis


Cranach - Détail de l'âge d'or





J'ai d'abord parlé en fureur à une autre femme et à son poignard, mais c'était avant de laisser partir la mort en moi, car ensuite j'ai fui dans le jardin et le poème n'a été ni pensé ni imaginé, le poème était moi devenu partie du jardin.



Alors j'ai parlé de son corps et de chaque lieu de son corps, et j'ai parlé aux arbres, à l'écorce et à la feuille, j'ai parlé au fruit naissant, au brin d'herbe, au noir de la nuit entre les étoiles et j'ai parlé aux étoiles, j'ai parlé à la lune en initiale de son nom, à l'air frais et à la discrète buée de mon souffle dans l'air, j'ai parlé aux plants du potager et aux plantes confuses pour moi qui ignore leur nom, j'ai parlé à la rosée, à l'humidité de la terre et à la terre humide, j'ai parlé aux fleurs qu'on ne voit pas dans la nuit, j'ai parlé au chat indistinct, aux insectes inaperçus, à la flamme d'une bougie vite consumée, j'ai parlé à la froideur de la nuit sur ma peau et aux frissons qui me parcouraient, j'ai parlé à la danse qui m'a tournoyé et à ma chute dans un cri, j'ai parlé au vertige qui vrillait le paysage et au sol qui venait de recevoir mon corps étendu, j'ai parlé aux racines pour qu'elles poussent vers elle le sang de mes mots :



Dites à Cendrine qu'elle est aimée de Michaël, dites à Cendrine qu'elle est l'aimée de Michaël



dimanche 9 août 2009

Sonnet muet


Mutus Liber




Mes mots s'étoilent-ils encore au ciel d'aimée


brûlent-ils sur sa peau l'or fondu de mon nom


ou bulles sont-ils qui éclatent en silence


ou glissent-ils plutôt en perles d'agonie



sur sa peau fièvre et fleur passementée de lèvres


sur sa peau matinée de lune pour un autre


mes lèvres sont bleuies et mes lèvres l'appellent


sans goûter n'ayant goût qu'à leur propre morsure



sans pouvoir mais voulant ses fruits rouges tendus


et son miel à son fruit au mien mêlé de sel


et son miel à mon sel en liqueur de nos fruits



et son corps sans entrave en marche si lointaine


son corps secrètement me supplie et demande


et je suis là lové au centre de la flamme



Nox erat


Phanès






C’était la nuit en coupe où boire son absence


enragé de son manque et moi perdu de moi


en allé à ses monts et vallées à son nom


enlacé elle en mon tréma entremêlée


aux neiges de mon ventre en tourmente pour elle


moi d’elle torsadé d’elle nouée en pluie



C’était la nuit en coupe en souvenir du jour


où drapé de son corps elle vêtue de moi


et moi d’elle tressé d’elle à moi amarrée


où voguant à son eau elle en lames de fond


où livré à l’écume elle en vagues languides


où tremblant sous ses mains elle en pluie torrentielle



C’était la nuit en coupe et violente beauté


d’elle les bras au ciel moi en racines d’elle


de moi en lèvres d’elle en lever de la lune


d’elle en neige flambée en couronnes d’éclipse


et en poignards plongés dans ma blessure d’elle


blessée aussi de moi endolori d’aimer



C'était la nuit Phanès veillait le serpent d'eau


enroulé à son corps Eros en sa vigile


égarait notre songe aux layons de ses bois


et poussé de la terre il montrait son visage


en chair et feuillage en arbre privé d'écorce


en cri de soif au ciel pour la pluie à venir



C'était la nuit tirée en rideau de nos pluies


et nos mains au travers en lunes ruisselantes


en corps mélangés d'âme ou fleuves en merveille


et nos mains à travers pluie font lacis de foudre


nos mains en entrelacs sont d'elle de moi et d'ailes


déployées et tournoient cibles navrées d'Eros



C'était la nuit où sabre au clair les mots fleurissent


d'elle en sang de lui d'elle en sang de moi sans elle


comme versé au creux des mains pour nulle lèvre


moi-même décoché en flèche qui me saigne


versé au fond du ciel je retombe sans pluie


et m'habille de sang — vêtu de toute absence



C'était la nuit grisée de lune en liqueur d'elle


en neige fondue d'elle ardente et vif-argent


en sable blanc grainé pour l’appel de l'écume


sable et verre étamé miroir d'elle en soleil


et moi à ses monts et vallées sentir son souffle


frémir chair et feuillage en joie tirelirant



la naissance


des oiseaux


Léthé



Maintenant je m'efface


Eros n'est plus pour moi


ses papillons l'ont prise


et son sexe s'envole


avec eux déployés



jeudi 30 juillet 2009

Le cœur a ses raisons



seconde après seconde


et coup sur coup


mon cœur n'a de cesse


de me battre


mardi 28 juillet 2009

Pluie régnante (offrande à son corps)


Lucas Cranach : Vénus





Je chanterai le cuivre frappé à l’effigie de la déesse de Chypre
Je chanterai le buste lauranien d’elle qui prodigue ses vagues
me déferle me dérobe me déploie me défait en éclats de désir
Je chanterai
son portrait et le mien aiguisés jusqu'au trait
en torse javeline à la joute lunaire
et en lance de lice à la cour du Soleil
Je chanterai son corps musqué navré de Lune
le doux troupeau blanc de ses vivantes collines
et le rouge mordu de ses lèvres rubelles
Cuivre disais-je qui est l’or de Vénus
et la ville enterrée sous le corps d’eau de plus anciens dieux
la ville assiégée d’algues s’éprendra de ciel
et le ciel blessé sera bu
en abeilles saignant de sa chair ouverte en plaie fertile
sera bu
et Mercure qui se fera un théorbe de sa lyre perdue entonnera
le chant de ses chants :

rouges ses mains de pleine beauté
ses plaintes lancées au cœur
comme autant de vagues fuselées
murmurées en pluie d'écume
au jade de la tige élancée
et ma langue mordue
dira-t-il
et mon cri empennelé dans la gorge
et mes mots
dira-t-il
et mes mots portés à la bouche comme fruits
qui verront leurs images mordues
et leur sens s'écouler
rouge en son palais
dira-t-il
rouges saignées
d'elle murmurée en pluie
au jaspe de mes veines
ci commence dira-t-il
(offrande au cœur des mots)

ci commence le chant dédié à son corps

en dire d'encre en dire d'incendie
en reine d'incendie en ce cri d'encre
n'en rien dire crier ce cri de cendre
enceindre reine en dire de ce cri :

ci commence le chant dédié à son corps

en mains versées comme torrents sur elle
en nue de chair que visite l’étrave
en savourée fébrile au souffle court
et robe blanche en vifs battements d’ailes

ci commence le chant dédié à son corps

en éperdue languide sous mes lèvres
toute versée dans l’or qui sert de jour
dans la sueur de mon soleil plongé
au corps aimé au sang qui fait des vagues

ci commence le chant dédié à son corps

en pluie régnante et tresses de mon sang
en céraunies dans l’éclat de la chair
en terre ouverte et ciel en chute libre
les mots aussi vont s’ouvrir à la nuit

ci commence le chant dédié à son corps

les mots aussi vont s’ouvrir à la nuit
trempés dans l’encre en images fécondes
ils prennent corps dans l’enclos de ses veines
corps de désir qui carmine l’arène

ci commence le chant dédié à son corps

qu’il soit dit oh son ventre n’est que fièvre
et qu’il soit dit on y fond le Soleil
livrez-moi à son feu car je suis sève
et je brûle aux éclats et qu’il soit dit

ci commence le chant dédié à son corps

et tant de nuit enclose entre ses lèvres
à l’incise féconde ô souterraine
et cette pluie capricante de lait
en agonie perlée de Lune en elle

ci commence le chant dédié à son corps

en nuit de Mars sous la première neige
et moi neigeant pour l’infime soleil
de son ventre appelant un autre corps
et moi nageant vers elle — ô femme & fille

ci commence le chant dédié à son corps

qui m’accueille me tend et me carène
me dérive à son vif et qui m’aiguise
m’offre sa nuit en appel de blancheur
lors en ses eaux je ne suis qu’œuvres vives

ci commence le chant dédié à son corps
et au mien aussi qui est le sien



Emblème de l'Imagination poétique de Barthélémy Aneau, 1552.

samedi 25 juillet 2009

Iridelle en eaux troubles



le poison est au creux de nos mains

comme un eau claire où mouiller les lèvres


— et la mort marche sur ces mots



mardi 21 juillet 2009

D'encre noire sa ramée

Conception d'Abel, in Histoire du Saint Graal, vers 1280, ms BNF.




Eve et l'arbre de vie, in Queste del saint graal, Angleterre, vers 1275.









D'encre noire sa ramée
contre le ciel du vélin
l'arbre écrit prend lumière
à ces yeux qui lents le lisent
et l'enluminent de pourpre

Et les mots bruissent du souffle
de qui respire leur sens
ils frémissent sous les doigts
au parcours de chaque ligne
chemins d'obscur dans la page
feuille où s'écrit le feuillage

Et c'est presque s'ils entendent
le chant parlé de leurs signes
au chuchotis de ces lèvres
qui savoureuses savourent
la chair sonore de l'arbre
au coeur végétal des lettres

Mes mots aux lèvres d'aimée
palpitants se tendent vifs
jusqu'à l'or blanc de la sève
de l'arbre écrit carminé
et sa langue qui s'attarde
à bien dire chaque mot
me soleille en éclats brefs
et c'est le poème entier
qui alors se fait nid pour

la naissance
des oiseaux



Arbre de Jessé, in Guiard des Moulins, Bible historiale, XVe siècle, ms BNF.

mercredi 17 juin 2009

Guillaume de Saluste du Bartas sur la Terre vaine et sous le Ciel non azuré



Vincentius Bellovacensis
, Speculum Historiale, Paris, 1463



Ce premier monde estoit une forme sans forme,
Une pile confuse, un meslange difforme,
D'abismes un abisme, un corps mal compassé,
Un chaos de Chaos, un tas mal entassé :
Où tous les elemens se logeoyent pesle-mesle :
Où le liquide avoit avec le sec querelle,
Le rond avec l'aigu, le froid avec le chaud,
Le dur avec lel mol, le bas avec le haut,
L'amer avec le doux : bref durant ceste guerre
La terre estoit au ciel et le ciel en la terre.
La terre, l'air, le feu se tenoyent dans la mer :
La mer, le feu, la terre estoyent logez dans l'air,
L'air, la mer, et le feu dans la terre : et la terre
Chez l'air, le feu, la mer. Car l'Archer du tonnerre
Grand Mareschal de camp, n'avoit encor donné
Quartier à chacun d'eux. Le ciel n'estoit orné
De grands touffes de feu : les plaines esmaillees
N'espandoyent leurs odeurs : les bandes escaillees
N'entrefendoyent les flots : des oiseaux les souspirs
N'estoient encore portez sur l'aille des Zephirs.
Tout estoit sans beauté, sans reglement, sans flamme.
Tout estoit sans façon, sans mouvement, sans ame :
Le feu n'estoit point feu, la mer n'estoit point mer,
La terre n'estoit terre, et l'air n'estoit point air :
Ou si ja se pouvoit trouver en un tel monde,
Le corps de l'air, du feu, de la terre, et de l'onde :
L'air estoit sans clarté, la flamme sans ardeur,
Sans fermeté la terre, et l'onde sans froideur.
Bref, forge en ton esprit une terre, qui, vaine,
Soit sans herbe, sans bois, sans mont, sans val, sans plaine :
Un Ciel non azuré, non clair, non transparent,
Non marqueté de feu, non vousté, non errant :
Et lors tu concevras quelle estoit ceste terre,
Et quel ce ciel encor où regnoit tant de guerre.
Terre, et ciel, que je puis chanter d'un stile bas,
Non point tels qu'ils estoient, mais tels qu'ils n'estoient pas.


Guillaume de Saluste du Bartas, La Sepmaine, extraits du Premier Jour.

dimanche 7 juin 2009

Guillaume de Saluste du Bartas au flo-flottant séjour



Jonas, in
Speculum humanae salvationis, manuscrit du XIVe siècle, Bologne.



Du plus baroque des poètes français du XVIe siècle :


Flambeaux Latoniens, qui d'un chemin divers
Or' la nuict, or' le jour guidez par l'Univers,
Peres du temps ailé, sus, hastez vos carrieres,
Franchissez vistement les contraires barrieres
De l'aube et du ponant : et par vostre retour
L'imparfait Univers faites plus vieil d'un jour.
Vous poissons, qui luisez dans l'escharpe estoilee,
Si vous avez desir de voir l'onde salee
Fourmiller de poissons, priez l'astre du jour
Qu'il quitte vistement le flo-flotant sejour :
S'il veut qu'en refaisant sa course destinee
Vous le logiez chez vous un mois de chasque annee.
Et toy, Pere eternel, qui d'un mot seulement
Acoises la fureur de l'ondeux element :
Toy qui, croulant le chef, peux des vents plus rebelles
Et les bouches bouscher, et desplumer les ailes :
Toy grand Roy de la mer, toy dont les hameçons
Tirent vifs les humains du ventre des poissons :
Pourvoy moy de bateau, d'Elice, et de pilote,
Afin que sans peril de mer en mer je flote.
Ou plustost, ô grand Dieu, fais que, plongeon nouveau,
Les peuples escaillez je visite sous l'eau :
Afin que degoutant, et chargé de pillage
Je chante ton honneur sur le moite rivage.


Guillaume de Saluste du Bartas
(1544 - 1590) : La Sepmaine (extrait)


C'est là l'ouverture du Cinquième jour de la Sepmaine, la première partie étant consacrée à la mer poissonneuse, énumération des vivantes richesses qui bavochent au règne de Thétys ; de beaux passages sur la rémore "arreste-nef" et le dauphin qui sauva Arion, mais c'est dans la deuxième partie de ce jour, dédiée aux oiseaux, que la lyrique baroque du poète prend son plus bel envol.



mercredi 27 mai 2009

Survivre à la beauté : une prophétie mallarméenne


Détail de la Nativité, tableau de Petrus Christus (1410 - 1475)





Un ciel pâle, sur le monde qui finit de décrépitude, va peut-être partir avec les nuages : les lambeaux de la pourpre usée des couchants déteignent dans une rivière dormant à l'horizon submergé de rayons et d'eau. Les arbres s'ennuient et, sous leur feuillage blanchi (...), monte la maison en toile du Montreur de choses Passées : maint réverbère attend le crépuscule et ravive les visages d'une malheureuse foule, vaincue par la maladie immortelle et le péché des siècles, d'hommes près de leurs chétives complices enceintes des fruits misérables avec lesquels périra la terre. Dans le silence inquiet de tous les yeux suppliant là-bas le soleil qui, sous l'eau, s'enfonce avec le désespoir d'un cri, voici le simple boniment : « Nulle enseigne ne vous régale du spectacle intérieur, car il n'est pas maintenant un peintre capable d'en donner une ombre triste. J'apporte, vivante (et préservée à travers les ans par la science souveraine) une Femme d'autrefois. Quelque folie, originelle et naïve, une extase d'or, je ne sais quoi ! par elle nommé sa chevelure, se ploie avec la grâce des étoffes autour d'un visage qu'éclaire la nudité sanglante de ses lèvres. A la place du vêtement vain, elle a un corps ; et les yeux, semblables aux pierres rares, ne valent pas ce regard qui sort de sa chair heureuse : des seins levés comme s'ils étaient pleins d'un lait éternel, la pointe vers le ciel, aux jambes lisses qui gardent le sel de la mer première. » Se rappelant leurs pauvres épouses, chauves, morbides et pleines d'horreur les maris se pressent ; elles aussi par curiosité, mélancoliques, veulent voir.

Quand tous auront contemplé la noble créature, vestige de quelque époque déjà maudite, les uns indifférents, car ils n'auront pas eu la force de comprendre, mais d'autres navrés et la paupière humide de larmes résignées se regarderont ; tandis que les poëtes de ces temps, sentant se rallumer leurs yeux éteints, s'achemineront vers leur lampe, le cerveau ivre un instant d'une gloire confuse, hantés du Rythme et dans l'oubli d'exister à une époque qui survit à la beauté.

Stéphane Mallarmé, "Le phénomène futur" (1864), poème en prose publié par la suite dans le recueil Divagations.

145 ans plus tard, et la beauté s'enfuyant à toute allure de nos regards désarmés, auront nous l'heur de nous resouvenir que seule la beauté suavera sauvera le monde ?

mardi 26 mai 2009

Pour Athéna, pour Astrig (détournements d'odes mariales)


Détail d'un tableau de Franz von Stuck




Chant parcouru de merveilleux frissons,
chant sur mesure,
tissage virginal, parure,
surgie de l'espace, parure, la voici debout
tel un cyprès aux bourgeons de feu, tel un vase
végétal, et ses doigts, ses doigts irréprochables,
tels des rameaux qui sans cesse verdoient,
et de ses sourcils la voussure, et la finesse
de son regard céleste, abîme lumineux
mais si proche, si près, ses yeux
qui brûlent comme l'heure méridienne.



Ode à la Vierge de Grégoire de Narek, poète Arménien qui a vécu entre l'an 940 et 1010.




Ce grand poète a passé sa vie dans un monastère où il a composé de nombreuses Odes et des Lamentations vibrantes d'amour mystique. La haine chrétienne pour les sens, qui s'est forcément développée en lui, n'a heureusement pas toujours effacé les échos sensuels du paganisme tout proche ; ses poèmes restent probablement apparentés à certains chants païens arméniens, et on y entend parfois encore des échos à des divinités comme Astrig, voluptueuse déesse de l'amour. Ses textes sont imprégnés d'influences arabes et persanes, terres les plus fertiles en poésie, et il est regrettable de voir cette passion mise au service de la destruction chrétienne du corps :

Du tréfonds de la chambre noire où demeurent mes sens et ma pensée, puissé-je surgir vers Toi, telle une victime consentante, puissé-je prendre feu, flamber, me consumer, grâce à toute cette hideuse graisse, et, brûlant, me réduire en cendre...

Comme quoi je n'exagère rien... Mais il y a mieux encore, dans un chant consacré aux martyrs des arènes :

Ballottés par l'atroce guerre, les Martyrs
parvienrent tous aux portes de l'arène.
Vivant leur mort comme le comble du bonheur,
ils furent immolés à la Gloire du Ciel,
selon les lois de la Raison divine.
(...)
Tous brûlaient du même désir
de la mort ; déchirés jusqu'aux entrailles,
le corps inondé de sueur, ils arrosèrent
de leurs pleurs la roseraie de leur sang. Ils mirent
tout en œuvre pour assumer leur mort.
Malheur indescriptible, ils gémissaient, hurlaient,
appelant de leurs vœux un surcroît de souffrance.


Mais baste, revenons à une évocation plus charnelle et vivante, et considérons qu'elle appartient désormais à Astrig, l'Astarté ou Aphrodite arménienne :



Deux soleils, deux brasiers
sur l'océan dilaté de l'aurore :
telles sont ses prunelles océanes,
un déluge d'aurorale lumière.
(...)
Ses bras, ses fines mains formant
une voûte parfaite, elle entre-tisse mille
et une mélodies selon les normes
d'un art inimitable
(...)
Sa bouche est un double pétale,
c'est un ruissellement de roses,
sa langue, telle une harpe de miel.
(...)
Tresses, parures du visage, triples
tresses torsadées, ceignant le joyau des joues.
Sa gorge lumineuse emplie de roses rouges,
et dans la coupe de ses doigts des touffes
de violettes.
(...)
Somptueuse, sa robe : azur et pourpre,
luisante, diaprée, chamarrée de dorures.
(...)
Dans son sillage étincelait
une multitude de perles,
des gouttes de soleil flamboyaient sous ses pas.

Ces poèmes sont tirés des Odes et Lamentations de Grégoire de Narek ; traduction de Vahé Godel. Orphée / La Différence, 1995.


Deux enluminures figurant le bain de Bethsabée.
Je n'ai pas pu trouver les références précises.


lundi 11 mai 2009

L'homme persévérant (2) ou Comment le travail détruit la vie



Cendrine Rovini - Le regard de Miel



Aujourd'hui, chacun est contraint, sous peine d'être condamné par contumace pour lèse-majesté, d'exercer une profession lucrative, et d'y faire preuve d'un zèle proche de l'enthousiasme. La partie adverse se contente de vivre modestement, et préfère profiter du temps ainsi gagné pour observer les autres et prendre du bon temps, mais leurs protestations ont des accents de bravade et de gasconnade. Il ne devrait pourtant pas en être ainsi. Cette prétendue oisiveté, qui ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire beaucoup de choses qui échappent aux dogmes de la classe dominante, a tout autant voix au chapitre que le travail. De l'avis général, la présence d'individus qui refusent de participer au grand handicap pour gagner quelques pièces est à la fois une insulte et un désenchantement pour ceux qui y participent.
(...)
Une activité intense (...) est le symptôme d'un manque d'énergie alors que la faculté d'être oisif est la marque d'un large appétit et d'une conscience aiguë de sa propre identité. Il existe une catégorie de morts-vivants dépourvus d'originalité qui ont à peine conscience de vivre s'ils n'exercent pas quelque activité conventionnelle. Emmenez ces gens à la campagne, ou en bateau, et vous verrez comme ils se languissent de leur cabinet de travail. (...) Rien ne sert de parler à des gens de cette espèce : ils ne savent pas rester oisifs, leur nature n'est pas assez généreuse. Ils passent dans un état comateux les heures où ils ne peinent pas à la tâche pour s'enrichir. Lorsqu'ils n'ont pas besoin d'aller au bureau, lorsqu'ils n'ont ni faim ni soif, l'ensemble du monde vivant cesse d'exister autour d'eux. (...) Comme si l'âme humaine n'était déjà pas assez limitée par nature, ils ont rendu la leur plus petite et plus étriquée encore par une vie de travail dépourvue de toute distraction.
(...)
Examinez un moment, je vous en conjure, l'un de vos affairés. Il sème la hâte et récolte l'indigestion ; il fait fructifier une grande quantité d'activités, et ne reçoit en fait d'intérêts qu'une forte dose d'aliénation mentale (...) Peu me chaut qu'il travaille bien ou beaucoup, cet homme est une plaie pour les autres. S'il était mort, ils ne s'en porteraient que mieux. (...) Il empoisonne la vie à la source.



Robert Louis Stevenson, extraits tirés d'Une apologie des oisifs, 1877. Editions Allia, 2007.

La monja gitana - La nonne gitane de Federico García Lorca



Lucas Cranach - détail de Apollon et Diane



Pour ce poème de Lorca, la traduction de la Pléiade est plutôt décevante. La mienne est assez infidèle d'un point de vue littéral, mais pourtant nettement plus proche de l'original. A noter, l'étonnante phallicisation du paysage — état d'âme de la nonne, après l'apparition des deux cavaliers !



La nonne gitane

Silence de chaux et de myrte.
Et des roses parmi les herbes.
Elle brode des giroflées
sur une toile couleur paille.
Les sept oiseaux du prisme volent
tout autour du plafonnier gris.
Dans les lointains grogne l'église
telle une ourse au ventre bombé.
Comme elle brode ! et quelle grâce !
Sur cette toile couleur paille
elle ne pense qu'à broder
mille fleurs de sa fantaisie -
des tournesols, des magnolias,
tant de paillettes, de rubans !
Et puis des lunes safranées
pour la nappe de l'autel saint !
Dans la cuisine, avec du sucre,
on adoucit cinq pamplemousses,
les cinq plaies de notre seigneur
ouvertes à Almería.
Et au fond des yeux de la nonne
vont galopant deux cavaliers.
Une rumeur, sourde et fatale,
vient entrouvrir son chemisier,
et à force de contempler
les nuages et les montagnes
figés dans les lointains transis,
voilà que se brise son cœur
tout de sucre et de citronnelle.
Oh ! cette plaine hérissée
de vingt soleils qui tous se lèvent !
Et tous ces fleuves qui se dressent
entrevus par sa fantaisie !
Mais elle continue ses fleurs
et la lumière, debout
face à la brise va jouant
sur l'échiquier des jalousies.


Federico García Lorca - Romancero Gitano

dimanche 10 mai 2009

L'homme persévérant ou Comment habiller de vie la mort


Albrecht Dürer - Oiseau mort

Deux documents lucides, comme on en trouve de plus en plus ces derniers temps (voir ici même les extraits du dernier livre d'Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes), mais cette fois avec tout espoir en allé :

Un passage du livre aux accents prophétiques de Bertrand Méheust, La politique de l'oxymore, dont je reparlerai. Puis The Stork is the bird of war, dessin animé de Nina Paley, symbole de l'artiste anti-Hadopi par excellence, dont je reparlerai également.





L'ensemble des activités humaines tend ainsi à déplacer ses conséquences vers le futur ; le système devient insaisissable, sa fluidité lui permet toujours d'échapper à court et moyen terme aux conséquences de sa propre logique. La mondialisation peut donc, de ce point de vue, être caractérisée comme le moyen qu'a trouvé la civilisation libérale pour répondre à la saturation locale de ses systèmes et pour différer encore et encore la saturation finale.

Comme il ne s'agit que d'une tendance, la marché possède encore de nombreux espaces, de nombreux interstices et il pourra continuer encore de se déployer. Mais, comme nous vivons dans un monde fini, sa saturation globale est inéluctable, et plus on aura déployé d'ingéniosité pour le prolonger, plus les effets différés seront dévastateurs. Quand il tendra vers sa limite, le système ne disposera plus d'une autre sphère "enveloppante" dans laquelle il pourra poursuivre son expansion ; il n'y aura pas, selon l'image consacrée, de "planète de rechange". La saturation rapide des îles où explose la société de consommation — comme à Mayotte par exemple —, la menace qui pèse très vite sur leurs fragiles écosystèmes, nous donnent un exemple de ce processus facile à observer et à comprendre, en même temps qu'une analogie : la terre est une île
mais c'est une île dont on ne peut s'évader. L'élan gigantesque de croissance qui pousse l'humanité va venir buter sur la limite que nous impose notre situation cosmique présente.

Bertrand Méheust, La politique de l'oxymore. Comment ceux qui nous gouvernent nous masquent la réalité du monde. Les empêcheurs de penser en rond / La Découverte, 2009.














Nina Paley - The stork is the bird of war


dimanche 3 mai 2009

Offrande à Aphrodite

Vénus et Eros.
Fresque pompéienne, maison de Marcus Fabius Rufus.



Grappe, tu gis désormais dans le temple d'or d'Aphrodite,
pleine, goutte à goutte, à craquer du suc de Dionysos.
Et plus jamais ta mère, t'enlaçant de son pampre
avec amour, ne forcera sur ta tête sa feuille de nectar.


Moïro, poétesse de Byzance, vers 300 avant notre ère.

Extrait de La Couronne de Méléagre, traduit par Dominique Buisset, Orphée / La Différence, 1990.









dimanche 26 avril 2009

L'intrusion de Gaïa (4)

Le bain - Félix Vallotton


Gaïa, telle que je l'ai nommée, ne peut être associée, elle, la chatouilleuse, ni avec la prière, qui s'adresse à des divinités capables de nous entendre, ni avec la soumission que demande cette autre divinité aveugle honorée sous le nom de "lois du marché". Honorer Gaïa, ce n'est pas entendre le message provenant d'une quelconque transcendance, ni nous résigner à un avenir mis sous le signe de la repentance, c'est-à-dire de l'acceptation d'une forme de culpabilité collective.
(...)
Répondre à l'intrusion de Gaïa par des mots d'ordre triomphalistes mettant en scène les fins de l'humanité, ce serait n'avoir rien appris, ce serait encore et toujours accepter le grand récit épique qui fait de nous ceux qui montrent le chemin. N'avons-nous pas inventé le concept d'humanité ? Il s'agit bien plutôt de nous désintoxiquer de ces récits qui nous ont fait oublier que la Terre n'était pas nôtre, au service de notre Histoire, des récits qui sont partout, dans la tête de tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, se sentent "responsables", détenteurs d'une boussole, représentants d'un cap à maintenir.
(...)
Utopie, dira-t-on ! Mais qui le dira nous condamne à la barbarie. Et c'est à la barbarie que nous condamnent aussi les récits et les raisonnements dont nous sommes littéralement noyés, qui illustrent ou tiennent pour acquises la passivité des gens, leur demande de solutions toutes faites, leur tendance à suivre le premier démagogue venu. Quoi d'étonnant, puisque c'est précisément ce qui permet et propage l'emprise de la bêtise. Nous avons désespérement besoin d'autres histoires, non des contes de fées où tout est possible aux cœurs purs, aux âmes courageuses ou aux bonnes volontés réunies, mais des histoires racontant comment des situations peuvent être transformées lorsque ceux qui les subissent réussissent à les penser ensemble (...) Et nous avons besoin que ces histoires affirment leur pluralité, car il ne s'agit pas de construire un modèle mais une expérience pratique. Car il ne s'agit pas de nous convertir mais de repeupler le désert dévasté de nos imaginations.

(...) l'épreuve est ici encore d'abandonner sans nostalgie ni désenchantement le style épique, le grand récit d'émancipation où l'Homme apprend à penser par lui-même, sans n'avoir plus besoin de prothèses artificielles. Ce grand récit nous a empoisonnés non parce qu'il aurait fait miroiter la perspective illusoire de l'émancipation humaine, mais parce qu'il a donné de cette émancipation une définition avilie, marquée par le mépris pour des peuples et des civilisations que nos catégories jugeaient bien avant que nous n'entreprenions de leur apporter, de gré ou de force, nos lumières. Ne reconnaissons-nous pas dans leurs rites, leurs croyances, leurs fétiches, ces prothèses artificielles dont nous avons su nous libérer ?
(...)
Un jour, peut-être, nous éprouverons une certaine honte et une grande tristesse à avoir renvoyé à la superstition des pratiques millénaires, de celle des augures antiques à celles des voyants, liseurs de tarots ou jeteurs de cauris. Nous saurons alors, indépendemment de toute croyance, respecter leur efficace, la manière dont ils transforment la relation à leurs savoirs de ceux qui les pratiquent, dont ils les rendent capables d'une attention au monde et à ses signes à peine perceptibles qui ouvre ces savoirs à leurs propres inconnues. Ce jour-là nous aurons également appris à quel point nous avons été arrogants et imprudents de nous prendre pour ceux qui n'ont pas besoin de tels artifices.


Extraits de Isabelle Stengers : Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient, éd. Les empêcheurs de penser en rond / La Découverte, 2009.

lundi 13 avril 2009

Poème de la vraie Passion

Artemisia Gentileschi - Danaë



La main défait dévêt et découvre et dévoile
et la langue s'attarde au vif pointu d'un sein
en mouille le grain qui s'affermit doucement
et le rose rougit de l'aimée sous ses lèvres

et déjà la main goûte aux saveurs plus humides
que la langue anticipe en torsades légères
les doigts palpitants font une nichée d'oiseaux
au cœur fendu d'amour de son offrande ouverte

— allant d'un mont à l'autre et de rose en plus rose
de la source du lait à la source de l'eau
délogeant les oiseaux de la main caressante
et gonflée de désir la bouche vient aux lèvres
de l'aimée en allée tout en cris soupirés

et nos âmes s'émeuvent
d'un peu de sucre

dimanche 12 avril 2009

D'une religion qui se pense universelle

René Boyvin - Enlèvement d'Europe



Pour plusieurs intellectuels, l'"horizon de sens" reposerait désormais sur la foi et la transcendance d'inspiration chrétienne ; celles-ci constitueraient le garde-fou contre la perte des valeurs et les menaces que nous ferait encourir le relativisme. De Frédéric Lenoir à Nicolas Sarkozy, la conjoncture semble être au retour du "religieux" : pour le premier, l'attribution au Christ de l'initiative des valeurs démocratiques imposerait le retour dans les écoles d'une philosophie fondée sur l'Evangile ; quant au second, qui reçoit le pape en visite officielle, et pour lequel « un homme qui croit est un homme qui espère », il entend rétablir le financement public des cultes par un "toilettage" de la loi de 1905 sur la laïcité. On peut se demander ce qui sous-tend tous ces discours, et dans quelle mesure ils sont conciliables avec les orientations constitutives de notre modernité.
Ce qui frappe d'emblée dans ces propos, censés replacer le sacré au cœur des préoccupations de la cité, est leur convergence avec la reprise de thèmes nationalistes, la religion étant souvent présentée comme un marqueur identitaire fort. De fait, la question du "religieux" revient souvent, notamment lorsqu'il est question d'évaluer le degré d'intégration des étrangers. Dans une conjoncture historique dominée par les conflits chroniques au Moyen-Orient, par la menace "terroriste" et par la prolifération des fondamentalismes et des intégrismes, tout se passe comme si les Européens éprouvaient des difficultés à concevoir en termes de droit les différences éthiques et culturelles auxquelles ils sont confrontés dans des sociétés devenues pluriculturelles.
(...)
De là découle la contradiction qui déchire notre époque : nous avons affaire en Occident, d'une part, à un modèle sociopolitique égalitaire et inclusif, qui repose sur le contrat et sur l'intégration ; et, de l'autre, à un ensemble de valeurs issues du monothéisme chrétien et se référant à un absolu que l'on prétend universel. (...)
(...)
N'oublions pas que la religion est d'abord une catégorie culturelle ; à ce titre, elle est susceptible d'une approche qui montre comment elle est toujours construite de manière diverse par l'acteur social. N'oublions pas non plus que la notion de religion correspond elle-même à un concept relatif, reformulé dans la mouvance du monothéisme chrétien. Son usage est une redoutable machine pour enfermer les relations entres les cultures et les civilisations dans un horizon religieux unique, et pour réduire les diversités culturelles, sociales et symboliques à une vision absolue et orientée du monde. Les néoconservateurs qui nous gouvernent en font leur lit.

Claude Calame, Silvia Mancini, Mondher Kilani, revue Politis n°1045, p.28 (26 mars - 1er avril 2009). C'est moi qui souligne.



Félix Valloton - Enlèvement d'Europe


... La princesse ose même,

ignorant qui la porte, s'asseoir sur le dos du taureau ;

alors le dieu, quittant par degrés le terrain sec du rivage,

baigne dans les premiers flots ses pieds trompeurs ;

puis il s'en va plus loin et en pleine mer emporte

sa proie. La jeune fille effrayée se retourne vers la plage abandonnée ;

de sa main droite elle tient une corne, sur la croupe son autre main

s'est posée, ses vêtements agités d'un frisson ondulent au gré des vents.


Ovide
, Métamorphoses, II, 868-875.
(basé sur la traduction des Belles Lettres,
redisposée en vers et revue par mes soins)




Fresque de la Villa Oplontis, Pompéi. Enlèvement d'Europe.