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dimanche 30 août 2009

La légende dorée de Jean-Louis Murat


Eros au miel - Albrecht Dürer



Une fois n'est pas coutume, je vais faire comme les ados et proposer à mes visiteurs une chanson que j'écoute en boucle :



"La légende dorée", première chanson de Tristan, album de Jean-Louis Murat paru en début d'année.






vendredi 21 août 2009

Ouvrir le fleuve de douceur


extrait du Speculum humanae salvationis, Bologne, XIVe siècle.







Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Oi de ton ami la clamour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi comment je pour toi demour.
(demeure)

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Fai tant que o toi soit mon demour.
(ma demeure)

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Oi du grant Desir la rumour
Qui fait en mon cuer son demour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Fai qu'avec toi faice sejour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Fai que j'aie encor un bon jour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Oi de loing comment pour toi plour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi comment pour toi je m'esplour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Tari le ruissel de mon plour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Estain de Desir la chalour,
Amenuise sa grant rigour
Qui estaint toue ma vigour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Aies pité de mon labour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Met en ton tresdoulz cuer tenrour.
(tendresse)

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi ma pene, voi mon labour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi comment pour t'amour labour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi ma tresamere tristour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi mes meschiés
(malheurs), voi ma dolour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Considere ma grant freour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour
Voi que de mort sui en paour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Regarde comment je m'atour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour,
Voi comment je pleur en destour
(en cachette)
Pour ton cointe corps fait a tour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour
Voi qu'en toi sunt toudis mi tour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour
Voi comment pour toi descoulour.

Mon cuer, ma suer, ma douce amour
Euvre (ouvre) le flun (le fleuve) de ta douçour
S'arouse
(rosit) ma pale coulour.


Guillaume de Machaut (1300- 1377), lettre XXIII, vv4648-4698, in Le Livre du Voir Dit (1364)



Extrait de la Fontaine Amoureuse de Guillaume de Machaut. Enluminure de Perrin Remiet.

mardi 18 août 2009

Hortus noctis


Cranach - Détail de l'âge d'or





J'ai d'abord parlé en fureur à une autre femme et à son poignard, mais c'était avant de laisser partir la mort en moi, car ensuite j'ai fui dans le jardin et le poème n'a été ni pensé ni imaginé, le poème était moi devenu partie du jardin.



Alors j'ai parlé de son corps et de chaque lieu de son corps, et j'ai parlé aux arbres, à l'écorce et à la feuille, j'ai parlé au fruit naissant, au brin d'herbe, au noir de la nuit entre les étoiles et j'ai parlé aux étoiles, j'ai parlé à la lune en initiale de son nom, à l'air frais et à la discrète buée de mon souffle dans l'air, j'ai parlé aux plants du potager et aux plantes confuses pour moi qui ignore leur nom, j'ai parlé à la rosée, à l'humidité de la terre et à la terre humide, j'ai parlé aux fleurs qu'on ne voit pas dans la nuit, j'ai parlé au chat indistinct, aux insectes inaperçus, à la flamme d'une bougie vite consumée, j'ai parlé à la froideur de la nuit sur ma peau et aux frissons qui me parcouraient, j'ai parlé à la danse qui m'a tournoyé et à ma chute dans un cri, j'ai parlé au vertige qui vrillait le paysage et au sol qui venait de recevoir mon corps étendu, j'ai parlé aux racines pour qu'elles poussent vers elle le sang de mes mots :



Dites à Cendrine qu'elle est aimée de Michaël, dites à Cendrine qu'elle est l'aimée de Michaël



dimanche 9 août 2009

Sonnet muet


Mutus Liber




Mes mots s'étoilent-ils encore au ciel d'aimée


brûlent-ils sur sa peau l'or fondu de mon nom


ou bulles sont-ils qui éclatent en silence


ou glissent-ils plutôt en perles d'agonie



sur sa peau fièvre et fleur passementée de lèvres


sur sa peau matinée de lune pour un autre


mes lèvres sont bleuies et mes lèvres l'appellent


sans goûter n'ayant goût qu'à leur propre morsure



sans pouvoir mais voulant ses fruits rouges tendus


et son miel à son fruit au mien mêlé de sel


et son miel à mon sel en liqueur de nos fruits



et son corps sans entrave en marche si lointaine


son corps secrètement me supplie et demande


et je suis là lové au centre de la flamme



Nox erat


Phanès






C’était la nuit en coupe où boire son absence


enragé de son manque et moi perdu de moi


en allé à ses monts et vallées à son nom


enlacé elle en mon tréma entremêlée


aux neiges de mon ventre en tourmente pour elle


moi d’elle torsadé d’elle nouée en pluie



C’était la nuit en coupe en souvenir du jour


où drapé de son corps elle vêtue de moi


et moi d’elle tressé d’elle à moi amarrée


où voguant à son eau elle en lames de fond


où livré à l’écume elle en vagues languides


où tremblant sous ses mains elle en pluie torrentielle



C’était la nuit en coupe et violente beauté


d’elle les bras au ciel moi en racines d’elle


de moi en lèvres d’elle en lever de la lune


d’elle en neige flambée en couronnes d’éclipse


et en poignards plongés dans ma blessure d’elle


blessée aussi de moi endolori d’aimer



C'était la nuit Phanès veillait le serpent d'eau


enroulé à son corps Eros en sa vigile


égarait notre songe aux layons de ses bois


et poussé de la terre il montrait son visage


en chair et feuillage en arbre privé d'écorce


en cri de soif au ciel pour la pluie à venir



C'était la nuit tirée en rideau de nos pluies


et nos mains au travers en lunes ruisselantes


en corps mélangés d'âme ou fleuves en merveille


et nos mains à travers pluie font lacis de foudre


nos mains en entrelacs sont d'elle de moi et d'ailes


déployées et tournoient cibles navrées d'Eros



C'était la nuit où sabre au clair les mots fleurissent


d'elle en sang de lui d'elle en sang de moi sans elle


comme versé au creux des mains pour nulle lèvre


moi-même décoché en flèche qui me saigne


versé au fond du ciel je retombe sans pluie


et m'habille de sang — vêtu de toute absence



C'était la nuit grisée de lune en liqueur d'elle


en neige fondue d'elle ardente et vif-argent


en sable blanc grainé pour l’appel de l'écume


sable et verre étamé miroir d'elle en soleil


et moi à ses monts et vallées sentir son souffle


frémir chair et feuillage en joie tirelirant



la naissance


des oiseaux


Léthé



Maintenant je m'efface


Eros n'est plus pour moi


ses papillons l'ont prise


et son sexe s'envole


avec eux déployés