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mercredi 17 juin 2009

Guillaume de Saluste du Bartas sur la Terre vaine et sous le Ciel non azuré



Vincentius Bellovacensis
, Speculum Historiale, Paris, 1463



Ce premier monde estoit une forme sans forme,
Une pile confuse, un meslange difforme,
D'abismes un abisme, un corps mal compassé,
Un chaos de Chaos, un tas mal entassé :
Où tous les elemens se logeoyent pesle-mesle :
Où le liquide avoit avec le sec querelle,
Le rond avec l'aigu, le froid avec le chaud,
Le dur avec lel mol, le bas avec le haut,
L'amer avec le doux : bref durant ceste guerre
La terre estoit au ciel et le ciel en la terre.
La terre, l'air, le feu se tenoyent dans la mer :
La mer, le feu, la terre estoyent logez dans l'air,
L'air, la mer, et le feu dans la terre : et la terre
Chez l'air, le feu, la mer. Car l'Archer du tonnerre
Grand Mareschal de camp, n'avoit encor donné
Quartier à chacun d'eux. Le ciel n'estoit orné
De grands touffes de feu : les plaines esmaillees
N'espandoyent leurs odeurs : les bandes escaillees
N'entrefendoyent les flots : des oiseaux les souspirs
N'estoient encore portez sur l'aille des Zephirs.
Tout estoit sans beauté, sans reglement, sans flamme.
Tout estoit sans façon, sans mouvement, sans ame :
Le feu n'estoit point feu, la mer n'estoit point mer,
La terre n'estoit terre, et l'air n'estoit point air :
Ou si ja se pouvoit trouver en un tel monde,
Le corps de l'air, du feu, de la terre, et de l'onde :
L'air estoit sans clarté, la flamme sans ardeur,
Sans fermeté la terre, et l'onde sans froideur.
Bref, forge en ton esprit une terre, qui, vaine,
Soit sans herbe, sans bois, sans mont, sans val, sans plaine :
Un Ciel non azuré, non clair, non transparent,
Non marqueté de feu, non vousté, non errant :
Et lors tu concevras quelle estoit ceste terre,
Et quel ce ciel encor où regnoit tant de guerre.
Terre, et ciel, que je puis chanter d'un stile bas,
Non point tels qu'ils estoient, mais tels qu'ils n'estoient pas.


Guillaume de Saluste du Bartas, La Sepmaine, extraits du Premier Jour.

dimanche 7 juin 2009

Guillaume de Saluste du Bartas au flo-flottant séjour



Jonas, in
Speculum humanae salvationis, manuscrit du XIVe siècle, Bologne.



Du plus baroque des poètes français du XVIe siècle :


Flambeaux Latoniens, qui d'un chemin divers
Or' la nuict, or' le jour guidez par l'Univers,
Peres du temps ailé, sus, hastez vos carrieres,
Franchissez vistement les contraires barrieres
De l'aube et du ponant : et par vostre retour
L'imparfait Univers faites plus vieil d'un jour.
Vous poissons, qui luisez dans l'escharpe estoilee,
Si vous avez desir de voir l'onde salee
Fourmiller de poissons, priez l'astre du jour
Qu'il quitte vistement le flo-flotant sejour :
S'il veut qu'en refaisant sa course destinee
Vous le logiez chez vous un mois de chasque annee.
Et toy, Pere eternel, qui d'un mot seulement
Acoises la fureur de l'ondeux element :
Toy qui, croulant le chef, peux des vents plus rebelles
Et les bouches bouscher, et desplumer les ailes :
Toy grand Roy de la mer, toy dont les hameçons
Tirent vifs les humains du ventre des poissons :
Pourvoy moy de bateau, d'Elice, et de pilote,
Afin que sans peril de mer en mer je flote.
Ou plustost, ô grand Dieu, fais que, plongeon nouveau,
Les peuples escaillez je visite sous l'eau :
Afin que degoutant, et chargé de pillage
Je chante ton honneur sur le moite rivage.


Guillaume de Saluste du Bartas
(1544 - 1590) : La Sepmaine (extrait)


C'est là l'ouverture du Cinquième jour de la Sepmaine, la première partie étant consacrée à la mer poissonneuse, énumération des vivantes richesses qui bavochent au règne de Thétys ; de beaux passages sur la rémore "arreste-nef" et le dauphin qui sauva Arion, mais c'est dans la deuxième partie de ce jour, dédiée aux oiseaux, que la lyrique baroque du poète prend son plus bel envol.