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mardi 10 mars 2009

Le capitalisme du désastre




enluminure de Jean Bourdichon : martyre des dix mille (détail)


Comme la planète se réchauffe, sur le double plan climatique et politique, il n'est plus nécessaire de provoquer les désastres au moyen de sombres complots. Tout indique au contraire qu'il suffit de maintenir le cap pour qu'ils continuent de se produire avec une intensité de plus en plus grande. On peut donc laisser la fabrication des cataclysmes à la main invisible du marché. C'est l'un des rares domaines où il tient ses promesses.
Si le complexe du capitalisme du désastre ne déclenche pas délibérément les cataclysmes dont il se nourrit (à l'exception notable de l'Irak, peut-être), de nombreuses preuves montrent que les industries qui le composent font des pieds et des mains pour que les désastreuses tendances actuelles se poursuivent sans qu'on y change quoi que ce soit. De grandes compagnies pétrolières financent depuis longtemps le mouvement qui nie l'importance du changement climatique. On estime à seize millions de dollars la somme qu'Exxon a affectée à cette croisade depuis dix ans.

(…)

A la pensée des prochains désastres écologiques et politiques, nous tenons souvent pour acquis que nous sommes tous dans le même bateau, que nous avons besoin de dirigeants conscients du fait que nous courons à notre perte. Je n'en suis pas si sûre. Si pour l'essentiel nos élites politiques et économiques font preuve d'un grand optimisme dans le dossier du réchauffement climatique, c'est peut-être parce qu'elles sont raisonnablement certaines d'échapper elles-mêmes à la plupart des inconvénients.
C'
est peut-être aussi ce qui explique qu'un si grand nombre de partisans de Bush soient des chrétiens persuadés que la fin du monde est proche. Bien sûr, ils sont convaincus de l'existence d'une issue de secours au monde qu'ils contribuent à créer, mais il y a plus. Le Ravissement est en réalité une parabole du monde qu'ils façonnent ici-bas — un système qui appelle la destruction et le désastre (…).

(…)

Au contraire du fantasme du Ravissement, c'est-à-dire de l'effacement apocalytique qui permet aux croyants fervents quelques échappées dans le sublime, les mouvements de renouveau populaires partent du principe qu'il est impossible de fuir les gâchis considérables que nous avons créés et que l'oblitération — de la culture, de l'histoire, de la mémoire — a fait son temps. Ces mouvements cherchent à repartir non pas de zéro, mais plutôt du chaos, des décombres qui nous entourent. Tandis que la croisade corporatiste poursuit son déclin violent et augmente sans cesse les chocs d'un cran pour vaincre les résistances de plus en plus vives qu'elle rencontre sur sa route, ces projets indiquent une voie d'avenir possible au milieu des fondamentalismes. Radicaux uniquement dans leur pragmatisme, profondément ancrés dans les lieux où ils vivent, ces hommes et ces femmes se considèrent comme d'humbles bricoleurs : ils réparent les matériaux qu'ils ont sous la main, les solidifient et les améliorent, visent l'égalité. Par-dessus tout, il s'arment de résilience — en prévision du prochain choc.

Extraits tirés de Naomi Klein : La stratégie du choc. La montée d'un capitalisme du désastre. Leméac / Actes Sud, 2008.










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